mercredi 15 août 2018

Le pont de l’amitié


Mae Sot, jeudi 26 juillet

A Mae Sot, nous avons élu domicile au DK. Cet immense hôtel au petit air désuet, compassé, semble méditer tristement sur les jours meilleurs qu’il a connus autrefois. Il règne entre ces murs une odeur de poussière et d’humidité. Et les longs couloirs résonnent encore du bruit fantôme de célébrations et de fêtes depuis longtemps oubliées.

Mae Sot est une cité étrange, comme toutes les villes de frontières sans doute. Nul n’y est ici vraiment chez soi et les ethnies se mêlent dans ses rues bourbeuses. Thaïs bouddhistes et musulmans, mais aussi Birmans portant le traditionnel longyi (l’équivalent du sarong malais et indonésien), membres de la minorité karen, et Chinois qui, comme souvent, détiennent la majeure partie des grandes boutiques. Cette atmosphère particulière sauve Mae Sot de son statut de banale ville-rue.

Mais la pluie nous y a suivis – ce sera la constante de ce voyage de mousson – et nous zigzaguons entre les flaques jusqu’à un restaurant à l’appellation fort peu traditionnelle, la Casa Mia. Là, Zaz redécouvre avec délices les joies du banana pancake qui fit son bonheur journalier lors de notre escapade indonésienne.

Le lendemain matin, après avoir découvert le joli petit marché local, nous nous engouffrons dans un tuk-tuk rempli de thaïs hilares et filons vers la frontière distante de sept kilomètres. Là, nous découvrons le pont de l’amitié qui enjambe la rivière Moel. D’un poste frontière à l’autre, nous le franchissons à pied. La traversée est une simple formalité qui nous prend moins de vingt minutes.

De l’autre côté, la ville de Myawaddy nous offre déjà un aperçu du différentiel de richesse entre la Thaïlande et la Birmanie – l’impression inverse de celle que nous avions eue en passant de la Thaïlande à la Malaisie. Nous vivons là une expérience inédite et troublante. Un homme nous approche pour nous aider – il y en a toujours aux frontières. Il nous propose de nous conduire à une banque pour que nous puissions changer de l’argent puis de nous trouver un moyen de transport. Il nous explique que le bus que nous comptions prendre ne roule plus à cause des inondations.

Bien évidemment, nous n’en croyons rien – nous sommes des voyageurs expérimentés et on ne nous la fait pas. Dans ce genre de situation, jamais encore nous n’avons rencontré un bon samaritain qui nous renseignât de façon désintéressée. Nous tentons tant bien que mal de nous débarrasser de l’importun mais il s’accroche et nous suit obstinément – rien de très surprenant.


Nous passons à la banque que nous avons choisie et j’en profite pour demander conseil à la guichetière. Il apparaît que l’homme a dit vrai : il n’y a plus de bus. Et le prix des véhicules privés susceptibles de nous conduire à Hpa-An correspond à ce qu’il annonçait. En ressortant, je me sens un peu coupable et désolé : le voyageur occidental a tellement l’habitude de se faire rouler qu’il en oublie que parmi les gens qu’ils croisent, certains n’ont pas encore totalement oublié le sens de l’hospitalité.

C’est le cas des Birmans du sud. Probablement parce qu’ils n’ont pas (encore) été soumis aux vicissitudes du tourisme de masse, les habitants que nous rencontrerons lors de notre court séjour feront tous preuve d’une immense gentillesse. Le Myanmar mérite peut-être plus encore que la Thaïlande le surnom de « pays du sourire ».

A bord d’une confortable Mercedes que nous partageons avec un sympathique backpacker venu d’Estonie, nous élançons vers l’ouest. Le voyage durera plus de sept heures. Et tandis que Zaz et Aliocha regardent la série des Iron Man sur l’ordinateur, je constate avec une inquiétude croissante que la banquière et notre bon samaritain n’avaient pas exagéré.

Plus nous progressons, plus il devient évident que l’inondation a été importante. Les rizières se sont transformées en véritables lacs. Tous les bâtiments qui ne sont pas construits sur pilotis (surtout des garages, des annexes, des étables mais aussi quelques habitations modernes) sont partiellement submergés. Les routes tiennent souvent de la digue serpentant entre deux étendues d’eau qui s’étendent à perte de vue.
 












Des voyageurs plus prudents auraient sans doute fait demi-tour sans attendre. Mais il ne pleut pas et nous n’avons aucun moyen de savoir depuis combien de temps les terres sont ainsi inondées. Qui sait ? La décrue est peut-être déjà amorcée… Les heures qui suivent auront raison de notre optimisme teinté de naïveté…

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