Introduction en forme d’amende honorable
Toutes nos excuses aux financiers
de l’expédition pour ce long silence radio indépendant de notre volonté. Les
choses se sont accélérées et nous nous trouvons désormais à Bali où nous avons emménagé
dans notre propre maison. Mais ne mettons pas la charrue avant les buffles.
Walking through Jogja
Jogjakarta (Jogja pour les
intimes) est un endroit attachant. Pas vraiment beau mais assez plaisant à
visiter en dépit de son immensité. Car la ville que l’on nous a présentée comme
petite compte en réalité pas moins de 55 universités et il faut plus d’une
heure pour sortir du centre en bus ! Contrairement à Bandung, il est possible
de s’y promener à pied même si les distances poussent rapidement à se rabattre
sur l’un des nombreux becak qui se
disputent les faveurs des touristes.
Du kraton, le palais du sultan,
je garde le souvenir torpide d’une matinée grise. Sur les marches de cet
immense dédale de salles aux ors défraîchis patientent de vieux serviteurs en
tenue traditionnelle, visages ridés et yeux rieurs qui interpellent Zaz. Ce
dernier s’est découvert une vocation de canonnier dans la cour du palais.
Les pièces abritent un
bric-à-brac d’objets hétéroclites : vieux uniformes, portraits de
familles, arbres généalogiques tortueux, lampes et vaisselle des années 20,
antiques chaises à porteur… On imagine sans mal que l’aile habitée est équipée
de matériel hi-fi dernier cri mais dans cette partie offerte aux regards des
touristes, il règne une douce mélancolie, une langueur du temps jadis qui s’insinue
en vous et ne vous lâche plus.
Nous nous perdons ensuite dans
les ruelles avoisinantes, labyrinthe de maisonnettes colorées et de petits
jardins qui nous conduisent jusqu’à ce qui était autrefois le marché aux oiseaux.
Mais là, pas de trace de l’ancien palais que nous cherchons. Un guide nous
entraîne vers un escalier qui semble s’enfoncer dans les entrailles de la
terre. Nous descendons dans l’ancienne mosquée qui me fait un peu penser à ces
maisons tunisiennes à demi enterrées où fut tournée la célèbre scène de la
taverne de Tatooine de Star Wars. L’escalier central à quelque chose de Borgésien.
Sous le regard attentif des
masques grimaçants chargés de protéger les lieux, nous découvrons les autres
salles du vieux palais au milieu duquel se sont implantées les maisons plus
modernes. Puis un becak nous emporte
au nouveau marché aux oiseaux. Les habitants des Jogja adorent les oiseaux et
la plupart des maisons retentissent de leurs chants. La pension où nous avons
élu domicile compte une bonne dizaine de cages.
Le marché lui-même est immense.
Des milliers de volatiles s’y achètent, s’y vendent ou s’y échangent. On trouve
aussi d’autres animaux : chiens, chats, geckos, poissons multicolores,
serpents et même des chauve-souris (il doit exister des indonésiens fan de
musique gothique, j’imagine…). Le marché aux fleurs tout proche est plus petit
mais vraiment charmant avec ses cascades d’orchidées de toutes les couleurs.
Praying in Jogja
Jogja était
autrefois le centre spirituel de Java et l’on y trouve les deux complexes de
temples les plus connus de l’Indonésie : Prambanan l’hindouiste et
Borobudur le bouddhiste. Tous deux souffrent de la comparaison avec Angkor,
bien sûr, mais ne manquent pourtant pas d’intérêt. Le temple principal de Prambanan
est constitué de six bâtiments dont les trois principaux sont consacrés à la
trinité hindouiste : Brahma, le créateur, Vishnu, le préservateur et
Shiva, le destructeur.
Comme souvent
en Indonésie, Shiva occupe la place centrale. Faut-il y voir l’influence d’un
monde sur lequel pèse la menace constante de ces volcans majestueux et
meurtriers ? Ironiquement, nous n’avons pu visiter le temple de Shiva qui
est toujours en rénovation depuis qu’un violent tremblement de terre a
endommagé l’ensemble du site.
Prambanan, c’est
aussi notre première rencontre avec le Ramayana, cette épopée hindoue qui
imprègne toujours si fortement l’art et la culture indonésienne. Ici, le
théâtre, la danse et les spectacles de la marionnette commémorent à l’infini le
souvenir de l’amour tragique de Rama pour Sita. A en juger par les réactions de
Zaz, cette extraordinaire aventure n’a rien perdu de son actualité. Il fallait
le voir encourager Hanuman et s’emporter contre les démons de Ravana qui s’apprêtaient
à brûler le singe blanc !
Au pied du temple principal magnifiquement
éclairé, ce spectacle prend des allures de célébration. La lancinante mélodie
du gamelan, les gestes mécaniques de danseurs, les costumes colorés, tout
contribue à vous hypnotiser. Le temps s’arrête où commence le mythe. Le
ramayana est bel et bien éternel.
Borobudur est
totalement différent. Ici, les temples ne s’élèvent pas vers le ciel pour
honorer les dieux. Ils s’enroulent sur eux-mêmes, formant un mandala que l’on
parcourt, les yeux fixés sur les fresques de pierre dont les motifs se répètent,
formant un véritable mantra de pierre sous le regard énigmatique et doux des
statues de Bouddha. Nous le parcourons jusqu’à la terrasse supérieure où les
cloches de pierre des stupas cachent d’autre Bouddhas dont l’invisible présence
a certainement valeur de message. Je ne suis pas sûr de savoir lequel…
Singing in Jogja
Jogja restera également l’endroit
de notre première véritable rencontre avec les habitants de ce doux pays. Dans
le train venant de Bandung, nous avions croisé une famille indonésienne
rentrant de vacances. Nous nous étions promis de nous revoir. Evidemment, c’est
le genre de promesse que l’on ne songerait pas à tenir en France. Mais nous ne
sommes pas en France et les gens d’ici sont certainement les plus accueillants
qu’il m’ait été donné de rencontrer. Nous voilà donc invités (au sens propre du
terme) à dîner dans l’un de ces warungs,
ces petits restaurants qui bordent chacune des rues de Java, laissant penser
que personne ici n’aurait l’idée saugrenue de manger chez soi.
Au menu, cerveau d’agneau ! Ca
a beaucoup fait rire Zaz ; moi, ça m’a rappelé mon enfance. Pas mauvais,
en fait, une fois qu’on a surmonté l’impression d’être un zombi. Il y aussi des
brochettes de foie façon sate, du
riz, bien sûr, et des petites pâtisseries au sésame et à la banane qui font la
joie de Zaz. On mange assis sur des tapis étalés au milieu d’un parking, au milieu
des scooters et des motos.
Anni (la mère), nous invite
ensuite dans le restaurant qu’elle vient d’ouvrir. Deuxième dîner à base de
boulettes de viande et de crevettes frites. Et pendant qu’Anni et son époux
vont prier tour à tour, Aliocha et Zaz se découvrent une passion commune avec
les deux filles de la famille : la reine des neiges ! Je sais, vous
pensez que je bluffe. Mais pas du tout : l’expédition a bel et bien rempli
l’un de ses objectifs en enregistrant une version multilingue (plusieurs, en
fait, au restaurant, dans la voiture puis de nouveau chez nos hôtes) de la
chanson Délivrée, Libérée.
Unbelievable…
Anni nous fait ensuite visiter l’une
des trois maisons d’hôte qu’elle possède à Jogja. Imaginez un magnifique salon,
salle à manger, cuisine en open space s’ouvrant sur une piscine en intérieur à
ciel ouvert. Le tout meublé avec goût de façon très contemporaine. Et ce n’est
qu’un avant-goût de la demeure de la famille où nous sommes accueillis ensuite.
Là, au lieu de la piscine, c’est un beau bassin empli de poissons creusé dans
la pierre et donnant sur une belle falaise artificielle à ciel ouvert.
Il pleut à torrent dehors tandis
qu’Anni nous fait goûter des tas de spécialités locales (c’est notre troisième
dîner) et un délicieux thé au gingembre et au poivre. Nous parlons de leur pays
et du voyage qu’ils envisagent de faire en Europe, l’an prochain, à Londres,
Paris et Rome. L’occasion de nous revoir, peut-être.
Nous déclinons une invitation à
aller manger dans un autre warung
vers minuit. Anni et son mari nous raccompagnent jusqu’à notre hôtel qui nous semble
bien modeste au regard des maisons luxueuses que nous venons de visiter.
Leaving Jogja
La pluie qui continue à tomber par
intermittence sur la ville nous a résolument interdit d’explorer les flancs du
volcan Merapi comme nous nous étions promis de le faire avec Anni. Qu’à cela ne
tienne, nous partons sur un coup de tête pour l’extrémité orientale de Java où
nous attend le roi des volcans, le Bromo. Pas moins de 11 heures de car pour
atteindre la montagne sacrée. Zaz se révèle une fois de plus être le voyageur
idéal. Où trouve-t-il une telle patience, lui qui est si actif le reste du
temps ? Mystère. Les autres passagers du minibus qui l’avaient
probablement vu monter à bord avec appréhension n’en reviennent pas. Nous non
plus, à vrai dire.
Au cours des deux jours suivant,
notre étonnement ne cesse de croître. Ni les réveils à 3h00 du matin, ni les
marches d’approche au milieu des émanations soufrées des volcans ne viennent à
bout de la bonne humeur de notre lutin préféré qui cavale, rigole et découvre
tout avec cet amusant mélange de curiosité et d’acceptation. Il monte à cheval
pour la première fois de sa vie, gravit avec entrain les dizaines de marches
qui conduisent à la gueule béante du Bromo, cherche des morceaux de lave dans
la plaine recouverte de cendres…
Le lendemain le verra parcourir
une partie du long chemin menant au volcan Ijen sur le dos de l’un des porteurs
de soufre avant de terminer à pied cette éprouvante ascension. Là, nous
découvrons le cratère au milieu duquel s’étend un lac aux eaux d’émeraude. Le
vent est clément, nous épargnant les émanations de soufre qui sont parfois
redoutables.
On a du mal à imaginer que ces
véritables géants ne sont qu’endormis et qu’à tout moment, ils peuvent entrer
en éruption. Et le Bromo et Ijen ne sont que deux cratères parmi tant d’autres
qui parsèment l’Indonésie. Se trouver face à eux nous permet de comprendre un
peu mieux certains mystères de ces îles. Tout invite ici à la modestie face à une
nature que nul ne peut espérer dompter. Nature époustouflante de beauté qui
peut se révéler soudain dévastatrice. L’Homme prend ici sa véritable dimension.
Il n’est qu’un fétu de paille, une fourmi qui danse sur le visage d’un dieu
assoupi.
Au pied du Bromo, un petit temple
hindouiste nous parle du voyage qui nous attend et de notre prochaine étape…
A home in Bali
Il nous faut moins de quarante
minutes pour parcourir le bras de mer qui sépare Java de Bali. Et pourtant, c’est
un monde différent que nous découvrons de l’autre côté. Java est une immense
métropole où se pressent des millions d’êtres humains. Par comparaison, les
routes de Bali paraissent presque désertes. L’espace donne également l’impression
d’être plus ordonné. En bus, nous croisons même des gens chargés de nettoyer le
bas-côté des routes, chose impensable à Java…
Mon interminable narration vient
d’être interrompue par une course-poursuite hilarante avec un chien très joueur
qui avait profité de mon inattention pour dérober l’une de mes tongs ! Il
a fini par avoir pitié de moi et me l’abandonner après m’avoir fait courir
quelques minutes. Je suis donc revenu m’asseoir sous le bel auvent de bois du
bel hôtel où nous sommes venus prendre notre petit-déjeuner. Face à moi, la mer
s’étend à perte de vue. Le clapotis des vagues invite à s’allonger sur l’une
des chaises longues qui paraissent me tendre les bras.
Aliocha et Zaz ont loué des
masques, des tubas et des palmes pour aller explorer les coraux qui se trouvent
à quelques dizaines de mètres du rivage et où nagent des centaines de poissons.
Comme vous le voyez, la vie est dure pour nous…
Hier, nous étions beaucoup moins
fiers en arrivant dans cette petite bourgade de Permuteran qui est connue pour
ses coraux et sa presqu’île qui abrite une magnifique réserve naturelle. Après un
lever à 3h00 du matin et l’ascension du volcan Ijen, nous nous sentions
passablement épuisés. D’autant que la chaleur de Bali contrastait nettement
avec la fraîcheur qui règne dans les montagnes de Java. Chargés de nos lourds sacs
à dos, nous ressemblions assez à une famille
de tortues échouées sur le rivage.
Les premières investigations d’Aliocha
ne contribuèrent guère à nous redonner le moral. Les hôtels du bord de mer
étaient quasiment tous complets et les rares chambres disponibles avoisinaient
les 60$ la nuit. Un peu piteusement, nous avons erré le long de la route à la
recherche d’une guest-house plus modeste. Un Balinais nous a pris en pitié et
conduit jusqu’à un petit hôtel qui offrait de jolies chambres à un prix très
honnête. Mais il était situé un peu loin de la mer.
Koma nous a alors proposé une
autre solution : louer la maison de l’un de ses amis pour une somme
défiant tout concurrence. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés avec notre
propre demeure. Nous avons une maisonnette avec son jardin, sa balançoire, ses
arbres fruitiers (manguiers, papayers, citronniers et bananiers) et même ses
animaux (des coqs et des poules, une grenouille qui habite dans un tas de sable
et même un lapin sauvage surnommé Mona Lisa !).
Il y a juste à côté de chez nous
un délicieux warung et nous ne sommes
pas loin de la plage. Et pour le moment, le temps est au beau fixe. Nous
prévoyons donc de rester quelques jours, ce qui nous donnera l’occasion de vous
donner plus régulièrement de nos nouvelles.
Selamat malang à tous !
Griff
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