Pour clore ce périple à travers l'Indonésie, nous avons posé nos bagages au Gumaya Tower Hotel, l'hôtel le plus luxueux de Semarang. Au programme: chambres confortables, lit immense et douillet, salle de bains ornée de marbre avec cabine douche et immense baignoire, piscine à débordement, salle de sport, trois restaurants, bar avec vue panoramique sur la ville, spa et massage etc.
Les repas sont aussi délicieux que gargantuesques. Le petit-déjeuner
comporte une bonne centaine de stands parmi lesquels on peut librement
faire son marché entre plats traditionnels indonésiens, petit-déjeuner
continental, plats japonais ou délicieuses viennoiseries et pâtisseries
concoctées par le maître-queux qui officie avec brio.
Il y a aussi ce buffet de plus de cent plats qui est servi durant le week-end (coïncidant de façon très opportune avec les dates de notre séjour ici). C'est un véritable tour d'Asie culinaire qui permet de passer avec délices de l'Indonésie à la Thaïlande ou au Japon, avec un petit détour bienvenue par l'Europe pour les desserts, avec de nouveaux ces sublimes pâtisseries qui vous fondent sur la langue.
Vous comprendrez peut-être pourquoi j'ai eu tant de mal à arracher Zaz à la piscine et Aliocha à son spa pour les entraîner dans la fournaise des rues de Semarang. Quelques mètres hors de cette bulle de luxe et nous voilà replongés dans la réalité quotidienne de millions d'Indonésien. La chaleur accablante, la saleté, la pollution, le bruit incessant du trafic et cette odeur qui vous saisit parfois à la gorge.
Plongée dans les profondeurs moites et sombres du Pasar Johar, le marché central. Les étals claustrophobiques débordant de vêtements criards, de poissons séchés, de piments odorants. Regards étonnés ou amusés des marchands qui nous regardent passer. Encore un marché et nous voilà dans l'ancien quartier colonial dont les maisons qui se délitent font penser à de vieux chicots qui se refusent obstinément à tomber et demeurent là, grisâtres et misérables, célébrant une époque révolue. Au pied de ces vestiges lamentables, des dizaines de cages d'osier dans lesquels s'impatientent les coqs qui vont s'affronter dans les arènes sanglantes autour desquelles se pressent les parieurs clandestins.
Plus loin encore, nous pénétrons dans les quartiers pauvres. Nous sommes dans cet espace indéterminé, à mi-chemin entre la ville et le bidonville, dans un monde que seul l'éclat du soleil préserve de l'accablement le plus total. Pièces sombres et sales entraperçues. Entassements hétéroclites d'objets récupérés et qui se figent de rouille et de crasse. Partout la misère se devine, se pressent. Partout sauf dans les regards. Ces regards qui nous suivent sans haine, sans jalousie avec ce même étonnement amusé et cette douceur qu'aucune injustice ne semble entamer.
Au hasard des ruelles, nous parvenons devant un temple chinois. Devant les hôtels, les montagnes d'offrandes contrastent avec l'évident pauvreté des habitants. Il y aurait là de quoi nourrir des centaines de personnes. Et Zaz a cette phrase étonnante: "ici, les hommes croient trop en Dieu". C'est venu du fond du coeur, peut-être parce qu'il n'a jamais visité autant de temples que depuis que nous sommes ici.
Cette remarque résonne en moi, ce soir-là, lorsqu'au milieu du buffet, j'emmène Zaz aux toilettes. Je suis adossé contre les lavabos et je contemple les pissotières en faïence immaculées qui se dessinent contre le noir veiné d'une plaque de marbre. L'endroit est d'une propreté étincelante. Un diffuseur de parfum offusque toute odeur indésirable. Le contraste est trop saisissant, trop absurde avec les souvenirs de ces rues miséreuses.
Et je me demande brusquement si la phrase de Zaz ne cache pas un autre constat, en creux. Ces gens qui n'ont rien ne cessent de vénérer leurs dieux, de leur offrir ce qu'ils ont de plus beau parce que ces dieux représentent justement tout ce qui arrache l'homme à sa condition matérielle, animale. Leurs temples sont le signe visible d'une réalité qui échappe à l'imperfection du monde. Une aspiration à autre chose, à un autre mode d'être.
Que penser d'un peuple qui a oublié ses dieux? D'un peuple qui ne vit plus que pour satisfaire ses besoins matériels, quitte à en inventer de nouveaux lorsque c'est chose faite? Que penser d'un peuple dont les toilettes de marbres sont plus beaux que certains temples?
Semarang, entre deux mondes. Du confort ouaté de notre tour d'ivoire à la rieuse misère de ceux qui marchent main dans la main avec Dieu, une dernière étape en forme de méditation que seul permet le voyage. Arrachés à la certitude de notre quotidien, confrontés à l'ailleurs et à l'autre qui n'est jamais que le reflet de nous-même, nous revenons toujours décalés sinon transformés. Et pour cela, comme pour tous ces jours de découverte, de lumière et de poésie, je vous remercie tous du fond du coeur.
Shanti,
Griff
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